LES NEWS D’HISTOIRES CRÉPUES #1
Chaque mois, on vous embarque pour une plongée éclairée – et crépue – au cœur de l’histoire coloniale et de ses héritages multiples.
Cette newsletter prolonge l’aventure d’Histoires Crépues, avec la même volonté : apporter du contexte, des repères, et des clés de lecture pour mieux comprendre le continuum colonial qui façonne encore nos sociétés.
Au fil des numéros, on explorera une thématique forte, une figure marquante, et on partagera avec vous des ressources pour nourrir la réflexion : livres, podcasts, vidéos, conférences... de quoi éveiller les esprits curieux et affûter les consciences engagées. L’idée ? Se former ensemble, mieux comprendre le passé pour décrypter le présent, et surtout, disposer d’outils concrets pour transmettre ces savoirs autour de soi.
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DOSSIER (DÉ)COLONIAL
L'HISTOIRE COLONIALE DU 93
À Bobigny, un hôpital attire l’œil par son architecture orientale : l’hôpital Avicenne. Mais derrière ce nom se cache une autre réalité. À l’origine, il s’appelait l’hôpital franco-musulman. Un hôpital public, en France, réservé aux seuls musulmans ? Construit en 1935, en pleine période coloniale, ce lieu mélange style néo-mauresque et idéologie coloniale. Officiellement pensé pour "prendre soin", il révèle aussi les logiques de contrôle, de ségrégation et de mise à distance. Un bâtiment qui résume à lui seul la logique dominatrice de la mission civilisatrice

POURQUOI CONSTRUIRE UN HÔPITAL "FRANCO-MUSULMAN" À BOBIGNY ?
🔹 Un geste "philanthropique"… mais colonial
La France voulait montrer qu’elle prenait soin de ses sujets musulmans tout en affirmant que l’Algérie faisait partie intégrante du territoire français. Ce bâtiment n’est pas un cas isolé : il s’inscrit dans une série d’infrastructures (comme la mosquée du Jardin colonial en 1916) visant à ancrer la présence coloniale dans l’espace urbain, notamment en région parisienne.
🔹 Un outil de surveillance déguisé
Derrière la façade de l’assistance, l’hôpital servait aussi de poste avancé pour contrôler les populations nord-africaines. Avec le SSPINA, Service de surveillance, de protection et d’assistance des indigènes nord-africains, l’État surveillait les courriers, les relations mixtes, les engagements politiques... Tout lieu de soin devenait aussi un lieu de fichage.

🔹 Une médecine marquée par les fantasmes coloniaux
Les colonisés étaient perçus comme porteurs de "maladies spécifiques", comme la syphilis dite "arabe". En réalité, ces représentations racistes masquaient des inégalités sociales profondes : promiscuité, insalubrité, manque d’accès aux soins… Ce n’est pas la culture, mais les conditions de vie qui rendaient les corps vulnérables.

Aujourd’hui, l’hôpital soigne tout le monde, peu importe sa religion.
Mais à seulement 2 km de là, un autre lieu, construit à la même époque, reste réservé aux seuls musulmans. Pourquoi ? Que raconte cet endroit sur notre histoire coloniale ?
🎥 Découvrez ce second site méconnu dans une vidéo réalisée en partenariat avec le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, coécrite par Seumboy et la journaliste Yasmine Mrida.
GLOSSAIRE (DÉ)COLONIAL
Musulman ou Algérien ?
Le mot "Franco-musulman" n’a rien d’anodin.
À l’époque coloniale, on évitait d’utiliser le mot "Algérien" pour parler des personnes réduites à l'indigénat. Ce terme était réservé… aux colons européens installés en Algérie. Les autres, ceux d’origine nord-africaine, étaient simplement appelés "musulmans" — réduits à leur seule religion.
Pourquoi ? Parce que dire "Algérien", c’était reconnaître une identité nationale. Et dans un contexte où l’indépendance devenait une menace, c’était inacceptable. Sur la façade de l’hôpital, en arabe, on peut lire seulement "Hôpital musulman".
Le "Franco" a disparu. Comme un aveu silencieux : ces patients ne seraient jamais vraiment considérés comme Français.

QUI ÉTAIT… ?
Messali Hadj
Figure centrale de la lutte anticoloniale, Messali Hadj (1898–1974) est l’un des premiers à poser les bases d’un nationalisme algérien moderne. Dès les années 1920, alors qu’il vit en France, il dénonce l’hypocrisie de l’empire colonial français, qui se prétend protecteur des "indigènes" tout en les maintenant dans un statut d’infériorité.
Messali refuse la logique paternaliste de la colonisation, qui justifie des hôpitaux, écoles ou lieux spécifiques réservés aux "musulmans". Selon lui, cette séparation spatiale et sociale masque un véritable système d’apartheid, bien que le mot ne soit pas encore utilisé. Il rejette cette mise à l’écart déguisée en bienveillance : les colonisés ne sont pas des "protégés", ils sont des citoyens niés.
En 1926, il fonde l'Étoile Nord-Africaine, qui revendique déjà l’indépendance de l'Algérie. À travers ses discours, il réclame l’égalité réelle, dénonce la ségrégation coloniale et appelle les masses à prendre conscience de leur identité politique. Longtemps marginalisé, arrêté, exilé, Messali Hadj reste une figure clé, précurseur des mouvements indépendantistes qui surgiront après lui.


RESSOURCES (DÉ)COLONIAL
LES INTERVENANT·ES À SUIVRE :
Alain Ruscio
- Dorigny, M., & Ruscio, A. (2024). Le Paris colonial et anticolonial : Promenades dans la capitale et sa banlieue, au fil des lieux liés à l'histoire de l'esclavage et de la colonisation. Hémisphères.

Soraya El Alaoui
- (2012). L'espace funéraire de Bobigny : du cimetière aux carrés musulmans (1934-2006) Revue européenne des migrations internationales.

CALENDRIER (DÉ)COLONIAL
18 mai – Fête du Drapeau Haïtien : Cette journée commémore la création du drapeau haïtien le 18 mai 1803, lors du Congrès de l’Arcahaie, moment fondateur de l’unité des forces révolutionnaires dans leur lutte pour l’indépendance face à la France coloniale. Symbole puissant de résistance, d’émancipation et de fierté nationale, le drapeau incarne la volonté de rupture avec l’oppression esclavagiste. Chaque année, en Haïti comme au sein de la diaspora, le 18 mai donne lieu à des célébrations vibrantes qui honorent les idéaux de liberté, d’égalité et de dignité portés par la révolution haïtienne.

Merci d'avoir pris le temps de nous lire. On se retrouve le mois prochain avec un autre dossier décolonial !
En coulisses de vos lectures - Penda Fall